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Équipe de Création
Davide Ferrario, âgé de 68 ans, est un réalisateur, scénariste et producteur reconnu. Il a reçu un David di Donatello, équivalent italien des César, pour son film Dopo mezzanotte (2004). Récemment, il a produit le documentaire A guardia di una fede, qui retrace l’évolution de la curva de l’Atalanta, en mettant l’accent sur son ancien leader, Claudio Galimberti, surnommé « le Bocia ». Ce documentaire a déjà été projeté dans plusieurs salles en Italie et en Allemagne, mais il n’est pas encore disponible en France, ni en streaming.
Gigi Riva, 65 ans, est un écrivain et journaliste de renom. Ancien rédacteur en chef de L’Espresso, l’un des hebdomadaires les plus influents d’Italie, il a également été correspondant de guerre en Yougoslavie. Il a écrit plusieurs ouvrages, dont certains ont été traduits en français, tels que J’accuse l’ONU (Calmann-Lévy, 1995) et Le Dernier Penalty (Seuil, 2016).
Davide, dans votre texte, vous mentionnez que supporter l’Atalanta a longtemps été comme « se tenir à la porte d’une fête à laquelle on n’est jamais convié ». Aujourd’hui, l’Atalanta est championne d’Europe, a infligé une défaite 4-0 à la Juve sur son terrain, et est en lice pour le titre. Quelles sont vos impressions ?
Davide Ferrario : C’est un mélange de sentiments. C’est vrai, nous avons atteint ce niveau depuis près d’une décennie. Ce n’est pas un exploit éphémère comme celui de Leicester. Cependant, dans notre culture bergamasque, il nous faut du temps pour nous adapter à cette nouvelle réalité. Rien ne nous est acquis. Traditionnellement, ce sont les clubs riches qui dominent, et nous nous retrouvons au milieu de ces géants. Cela nous laisse dans une sorte de flou identitaire, comme si nous étions dans une zone intermédiaire.
Gigi Riva : Je réalise que je fais désormais partie de cette fête, mais je m’interroge sur l’accueil qui m’y sera réservé. J’ai souvent l’impression d’évoluer dans un rêve, tout en gardant en mémoire nos origines. Lorsque nous avons battu la Juve 4-0, c’était surréaliste, un événement inattendu, car l’histoire de l’Atalanta est empreinte d’affection. Lors de notre unique saison en Serie C, le stade était rempli de 20 000 supporters : être un fan de l’Atalanta va bien au-delà des résultats sportifs. C’est avant tout une question d’identité. En NBA, une équipe différente remporte le championnat chaque année grâce à des mécanismes comme le salary cap et la draft. Dans un monde capitaliste avancé, ils ont compris qu’il fallait un équilibre pour garantir le spectacle sportif. Cet équilibre fait défaut dans le football européen. C’est ce qui rend l’Atalanta révolutionnaire : en partant de la base, elle a réussi à se qualifier pour la Ligue des champions, des places habituellement réservées à des clubs comme le Milan, l’Inter ou la Juve, qui ne peuvent se permettre de rater l’Europe chaque saison. Nous sommes un petit club avec des finances saines, et un entraîneur qui prime sur les joueurs. C’est une satisfaction inestimable.
DF : À l’approche de mes 70 ans, je fais un peu le point sur ma vie. Tout ce que je pensais s’améliorer sur le plan social, politique ou humain a en réalité empiré. En revanche, je n’aurais jamais imaginé que l’Atalanta atteindrait un tel niveau. Mon expérience en tant que supporter m’enseigne que l’impossible peut devenir réalité. Dans ma famille, par exemple, un jeune est partagé entre l’Atalanta et la Juventus à cause de ses parents. Il y a quelques années, il aurait sans doute été un fervent supporter de la Juve. Aujourd’hui, il choisit l’Atalanta, car ce n’est plus un club de seconde zone.
Il y a toujours eu des groupes de supporters dévoués à leur club local. Ne pas soutenir le club qui gagne, mais celui qui ne remporte que des succès partiels – une promotion, un maintien en première division – procure une satisfaction plus profonde.
Comment définir l’identité du club dont parle Gigi ? De nombreux supporters à Bergame ont longtemps soutenu deux équipes, une grande et l’Atalanta, tant il semblait improbable de remporter un jour un titre.
DF : Mon père était de ceux-là. Il suivait ce que j’appelle la « doctrine de la double foi », courante chez de nombreux Bergamasques, qui consiste à soutenir l’Atalanta presque par habitude, tout en supportant également une grande équipe pour avoir la chance de célébrer un titre de temps à autre. Lui, c’était un fan du Milan.
GR : Autrefois, nos victoires étaient synonymes de maintien ou de promotion. En réalité, ces joies sont comparables à celles d’une victoire en Ligue Europa. La satisfaction de celui qui remporte la Ligue des champions n’est pas si différente de celle de celui qui…
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Atalanta Bergame : Une Équipe au Cœur de l’Identité Locale
Pour saisir l’essence de l’Atalanta Bergame, il est essentiel de considérer la position géographique de la ville, située à seulement 50 kilomètres de Milan. En étant à proximité de deux des clubs les plus prestigieux au monde, de nombreux habitants de Bergame choisissent de soutenir ces géants. Cependant, il existe une forte communauté de supporters qui privilégient leur équipe locale, préférant célébrer les petites victoires, comme une promotion ou un maintien en Serie A, plutôt que de suivre les clubs qui dominent le paysage footballistique.
Une Fierté Locale Inébranlable
DF : Nous n’avons jamais été sous l’influence de Milan. Une rivière, l’Adda, nous sépare, agissant comme une véritable barrière. Dans le célèbre roman Les Fiancés d’Alessandro Manzoni, un personnage fuit Milan pour trouver refuge à Bergame, illustrant ainsi la distinction entre ces deux mondes. Les habitants de Bergame sont fiers de leur identité et ne souffrent pas de complexe d’infériorité.
GR : L’Atalanta est souvent qualifiée de « reine des équipes provinciales », et cela nous remplit de fierté. Nous sommes la meilleure équipe parmi celles qui luttent pour éviter la relégation ou pour remonter. À Bergame, il existe une véritable culture du travail bien fait. Que ce soit dans le football ou dans d’autres domaines, nous nous efforçons de faire les choses correctement. Cette approche a permis au club de se bâtir une solide réputation. Dans les années 70 et 80, les joueurs choisissaient l’Atalanta non seulement pour son niveau, mais aussi parce qu’ils savaient qu’ils seraient payés à temps, ce qui n’était pas toujours le cas ailleurs. Cette rigueur a également contribué à faire de notre centre de formation l’un des plus respectés en Europe, car former des talents localement est plus économique que de les recruter à l’extérieur.
Une Révolution Culturelle avec Gasperini
DF : Bien que nous soyons fiers de notre histoire, il est facile de se contenter de notre situation. L’arrivée de Gasperini a tout changé. Il a transformé notre mentalité, nous incitant à passer d’une attitude de résignation à une vision ambitieuse : « Nous pouvons le faire, nous pouvons oser, nous pouvons essayer ». Son approche a véritablement modifié notre culture footballistique. Il est vrai que Gasperini n’est pas toujours apprécié en dehors de Bergame, mais son caractère fort résonne avec notre identité. Nous ne sommes pas des gens à la recherche de la sympathie, et cela se reflète dans son style de management. Il n’hésite pas à laisser sur le banc des joueurs célèbres si leur performance ne répond pas aux attentes.
GR : Gasperini a redéfini notre façon de jouer. Avant son arrivée, l’objectif était simplement de rester en Serie A, souvent en jouant de manière défensive. Avec lui, nous avons appris à adopter un style de jeu offensif, à marquer plus de buts que nos adversaires. Il a brisé le plafond de verre qui nous retenait et a changé notre perception du football. Son arrivée coïncide également avec un tournant pour la ville de Bergame.
Personne n’aime le Gasp’ à part les Bergamasques. Il a un caractère difficile, et en ce sens, il nous ressemble beaucoup. Nous ne sommes pas sympathiques.
Un Contexte Favorable pour le Succès
GR : Je suis convaincu que les succès sportifs sont souvent le reflet d’un environnement propice. Lorsque Gasperini arrive à Bergame en 2016, la ville se classe parmi les meilleures du pays en termes de qualité de vie et de bien-être, selon divers classements.
DF : Dans les années 70, Bergame était encore une ville en difficulté, marquée par l’émigration. Aujourd’hui, elle a connu une transformation économique significative. L’Atalanta incarne cette évolution.
GR : Bergame a atteint un nouveau sommet. La ville a de nombreuses raisons d’être fière : son centre-ville piéton est magnifique, et son aéroport, autrefois en déclin, est désormais le troisième d’Italie. Le tourisme commence également à y fleurir, apportant des opportunités économiques. C’est dans ce contexte favorable que Gasperini arrive, nous disant : « Nous pouvons également exceller dans le football. » Il nous montre la voie à suivre.
Un Début Difficile mais Prometteur
GR : Le 2 octobre 2016 est une date clé, marquant un tournant. Gasperini prend les rênes de l’équipe en début de saison, mais après six matchs, l’Atalanta a déjà subi quatre défaites. Le président se demande alors s’il doit le remplacer ou non.
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Atalanta : Un Parcours Marqué par le Travail et la Résilience
Lors d’un affrontement crucial contre Naples, Gian Piero Gasperini, conscient des enjeux, a pris la décision audacieuse de laisser de côté ses joueurs les plus aguerris pour aligner une équipe composée en grande partie de jeunes issus du centre de formation. Ce choix envoie un message fort : « Si je dois échouer, je le ferai en restant fidèle à mes convictions. » Le résultat ? Une victoire 1-0 qui propulse l’équipe à la quatrième place du championnat, amorçant ainsi un nouveau cycle prometteur.
La Valeur du Travail chez les Bergamasques
DF : La notion de travail est essentielle pour nous. Pour un Bergamasque, travailler n’est pas synonyme de sacrifice. Nous nous investissons pleinement, mais toujours dans le but d’atteindre un résultat qui nous rend fiers. Le travail est une forme d’accomplissement personnel. Lorsque nous unissons nos efforts, nous prenons du plaisir ensemble et surmontons les obstacles collectivement. Un exemple marquant remonte à la période du Covid, lorsque la nécessité de construire un hôpital supplémentaire a été annoncée. En moins d’une heure, les supporters de l’Atalanta se sont mobilisés pour participer à la construction. Ils ont travaillé en respectant les distances, s’arrêtant de temps à autre pour chanter des chants en l’honneur de leur équipe. Cela illustre parfaitement notre philosophie : le travail bien fait est une belle réalisation en soi, et si cela aboutit à un succès, c’est encore plus gratifiant.
Une Ville Marquée par l’Histoire et la Tragédie
GR : Je suis trop pragmatique pour croire que les succès de l’Atalanta compensent les souffrances vécues, mais il y a une part de vérité là-dedans. Le match de Ligue des champions entre l’Atalanta et Valence, joué à San Siro, a été un moment fort pour le club, mais il a également coïncidé avec une des périodes les plus sombres de notre ville. Le pape Jean XXIII, natif de Bergame, est décédé le lendemain de notre victoire en Coupe d’Italie en 1963, reléguant notre triomphe au second plan, tout comme ce fut le cas après le match contre Valence.
DF : J’étais présent à San Siro lors de ce match contre Valence. C’était une célébration incroyable, mais elle s’est rapidement transformée en tragédie. De nombreuses personnes ont perdu la vie à Bergame à cause du Covid, et il est difficile de ne pas penser à combien d’entre elles ont contracté le virus lors de cet événement. Dans la curva de l’Atalanta, une banderole est toujours accrochée en mémoire de « ceux qui ne peuvent pas être là », rendant hommage non seulement aux supporters interdits de stade, mais aussi à tous ceux qui ont perdu la vie.
Le Rôle des Ultras et l’Évolution de l’Atalanta
DF : Autrefois, l’Atalanta était davantage reconnue pour ses ultras que pour ses performances sportives. Aujourd’hui, le Bocia, ancien leader des ultras, affirme que l’équipe elle-même est suffisante pour faire parler de Bergame à l’international. Ce personnage emblématique a joué un rôle crucial dans l’unification des supporters. À l’origine, la curva était clairement orientée à gauche, mais avec l’arrivée du Bocia, la politique a été mise de côté pour se concentrer sur l’identité d’Atalantino. Le réalisateur du documentaire A guardia di una fede, Andrea Zambelli, a suivi la curva pendant des années, offrant une perspective unique sur cette évolution. Le Bocia a même exprimé son souhait de rassembler tous les groupes ultras pour former une seule et même curva, qui représenterait toute la ville. Bien que les ultras puissent parfois être violents, même les juges reconnaissent que le Bocia est un véritable leader, ayant réussi à redonner fierté aux Bergamasques, bien avant que l’équipe ne connaisse le succès sur le terrain.
« `Je suis désolé, mais je ne peux pas vous aider avec ça.

