« Tous se tiennent par les cheveux. » C’est ainsi qu’un ancien président de la Ligue 1 a décrit, dans une interview accordée à So Foot, le résultat de l’élection à la présidence de la LFP. Cette métaphore illustre parfaitement le milieu clos du football français, qui, depuis de nombreuses années, choisit de se regrouper dans un système qualifié de « semi-mafieux » par un autre ancien dirigeant de club. Les critiques, notamment celles des supporters, sont souvent ignorées. Dans ce contexte, la réélection de Vincent Labrune à la tête de la LFP n’a pas surpris : il a obtenu 14 voix sur 17 au conseil d’administration, validées par l’assemblée générale à 85,67%. Ce score est bien supérieur à celui de son élection précédente, il y a quatre ans, lorsqu’il avait accédé à ce poste avec une apparence moins marquée par le temps. Un exploit, compte tenu de son bilan.
Voici un aperçu de la situation : les clubs français disposent de moins de ressources financières à partager, suite à un accord défavorable concernant les droits télévisuels ; la relation avec le diffuseur historique, Canal+, est fortement détériorée ; un fonds d’investissement luxembourgeois (CVC) a acquis 13% des revenus annuels de la LFP pour un montant de 1,5 milliard d’euros, il y a deux ans ; et l’achat d’un nouveau siège pour la Ligue a été réalisé à un coût exorbitant (131 millions d’euros pour 3500 m2). Par ailleurs, Vincent Labrune a bénéficié d’une prime de trois millions d’euros lors de l’accord avec CVC, et son salaire atteint désormais 100 000 euros par mois. « Vincent n’est pas un homme qui sert l’institution dans laquelle il travaille. Il profite de l’institution », critique un ancien membre de la direction de l’OM, qui a collaboré avec lui à Marseille.
Vince City : Un Système en Place
Dans un entretien approfondi avec So Foot, qui lui a consacré une enquête de 16 pages dans son numéro de septembre, l’Orléanais a défendu sa position : « Tout a été voté en CA ». Ce qui est exact. L’ensemble du football français a participé à la mise en scène orchestrée par Vincent Labrune. Chacun se concentre sur ses propres intérêts, conscient d’avoir contribué à creuser sa propre tombe. « C’est un milieu de lâches et d’incompétents », affirme une experte du secteur. Les rares voix dissidentes (Jean-Michel Roussier, Joseph Oughourlian ou John Textor) n’ont jamais été suivies. Cet été, Waldemar Kita a été l’un des contestataires – « Il a dit à d’autres présidents que Labrune les avait dupés », confie une source – avant d’arriver tout sourire au siège de la LFP. « Je soutiens Vincent. Je soutiens les gens compétents », a rapporté RMC.
Personne ne s’oppose à l’ordre établi, et ceux qui évoluent depuis longtemps dans le milieu du football savent que le silence est de mise. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’un club, un État ou un diffuseur dispose de ressources considérables, lui permettant de contrôler la situation ou de satisfaire quelques présidents mécontents. C’est ainsi que fonctionne le football français : tout se décide dans des coulisses discrètes, loin des caméras et des supporters, où des dirigeants, souvent à la tête d’entreprises bien plus rentables que le football, prennent des décisions parfois irrationnelles.
Il est incertain que Cyril Linette – ou tout autre concurrent – aurait pu naviguer dans ce système opaque, qui méprise toute forme de contre-pouvoir (supporters, médias, justice). Pour les fans, qui subissent depuis des années l’augmentation des prix des billets, des abonnements ou des interdictions de déplacement, il faudra continuer à endurer cette situation. L’espoir d’un changement de cap semble mince. Si ce changement ne viendra pas des dirigeants, il est peu probable qu’il émerge du monde politique. En retrait, le gouvernement a souvent laissé faire Vincent Labrune, allant même jusqu’à le soutenir activement lorsque la loi sur la démocratisation du sport a inclus un article permettant la création de la société commerciale de la LFP, et donc la prise de 13% des recettes par CVC. « Vincent a commis de nombreuses erreurs, il perçoit trois millions d’euros de bonus sur une délégation de service public, et la ministre des Sports reste silencieuse. C’est une blague ? », s’indigne un président, pourtant ami de Labrune.
« Un Sport Réservé aux Riches »
On pourrait presque établir un parallèle entre un pouvoir qui s’accroche après deux défaites électorales et un président de la LFP qui, contre vents et marées, s’efforce d’appliquer les mêmes stratégies – à savoir un football pour les riches, par les riches, avec la théorie du ruissellement comme boussole. « C’est un business, c’est un sport de milliardaires. Nous devons renforcer nos clubs européens, car la clé de notre avenir réside dans le nombre d’équipes en Coupe d’Europe, plus d’équipes en Ligue des champions pour attirer des investisseurs plus puissants dans la Ligue 1 », a expliqué Labrune à So Foot. « Nous pourrions nous replier, jouer entre nous et partir sur la même ligne de départ avec les mêmes revenus : cela s’appelle la Coupe de France. Mais ce n’est pas cela le football. »
Le football demeure pourtant un bien commun, qui appartient à tous. Cependant, les principaux concernés, à savoir les supporters, ont l’impression qu’il leur échappe depuis des années. Cela est dû à une fuite en avant et à une démocratie totalement absente, tant dans les instances que dans le fonctionnement des clubs. Les présidents ont confirmé leur choix en renouvelant le mandat de Vincent Labrune, un homme plus guidé par ses ambitions personnelles que par l’intérêt collectif.
Reste à voir si cette situation pourra perdurer. Une plainte pour détournement de fonds publics, dans le cadre de la création de la société commerciale de la LFP, a été déposée en novembre 2023 par l’association Anti-Corruption (AC) contre X au Parquet National Financier, qui a ouvert une enquête préliminaire. DAZN pourrait rapidement rencontrer des difficultés si son nombre d’abonnés stagne autour de 100 000. Il est incertain que Labrune puisse résister à cette pression, même s’il a une nouvelle fois démontré sa capacité à naviguer dans un milieu de plus en plus déconnecté de la réalité.
Vincent Labrune largement réélu président de la LFP