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Une centaine de passionnés se sont réunis autour d’une table pliante, où diverses bouteilles d’alcool sont disposées. À l’image de ces voisins de camping qui profitent d’un apéritif pour discuter des numéros de département des voitures, ces supporters de l’AS Monaco se retrouvent ici, « à la digue » du port de Fontvieille, à quelques pas du stade Louis-II. En face d’eux, la mer Méditerranée s’étend, tandis qu’à proximité, l’héliport de Monaco accueille ceux qui peuvent se permettre un transfert à 800 euros depuis l’aéroport de Nice. Pour ne pas déroger aux clichés associés au mode de vie princier, des Bentley et des Rolls-Royce avec chauffeur attendent les clients pour compléter leur trajet.
Ce samedi 15 avril 2017, deux heures avant le coup d’envoi du match Monaco-Dijon, qui fait partie de la 33e journée de Ligue 1, ces supporters sont là pour encourager « Munegu », comme on l’appelle dans le patois local, entre deux rencontres de Ligue des champions contre Dortmund. Ce rassemblement habituel témoigne d’une chose : ni l’attaque du bus du Borussia quatre jours plus tôt, ni la victoire 3-2 en Allemagne, ni la première place en Ligue 1, ni le jeu séduisant de l’équipe de Leonardo Jardim, ni l’émergence de Kylian Mbappé, ni les promesses de ventes de joueurs à hauteur de plusieurs millions d’euros ne semblent perturber la routine des supporters les plus fidèles. Ces derniers, comme souvent, observent avec un mélange de distance et de désillusion les spectateurs occasionnels des soirées de gala européennes. « Un stade comme celui de Dortmund, c’est vrai que ça fait rêver, mais ce n’est pas pour ça qu’on vient à Monaco. Mercredi, pour le match retour contre le Borussia, le stade sera plein et ce sera bien pour les photos. Mais on remarque que ces gens ne sont pas là quand on affronte Dijon ou Lorient », résume l’un des participants à cette petite fête d’avant-match. En d’autres termes, ils étaient présents avant que l’ASM ne devienne tendance cette saison, et ils resteront là lorsque l’engouement sera retombé.
La principauté des 7 000
Les supporters font rapidement comprendre qu’ils n’ont pas été particulièrement touchés par la manière dont les médias ont relaté les histoires de camaraderie qui auraient émergé suite au drame de Dortmund. « Tout cela a été fabriqué par les médias qui avaient besoin d’un sujet pour leur journal télévisé du soir », déclare Christian. Les supporters de Monaco ont dormi dans des fast-foods ou dans leur voiture. Ceux qui ont été hébergés étaient des fans de l’ASM venus de Lille ou de Paris… Pour sa part, il est « rentré en avion le mardi soir », comme prévu par le déplacement organisé par le club, et n’a donc pas assisté au match le lendemain. Ce traitement médiatique alimente la méfiance des supporters azuréens envers les journalistes, qui ne sont pas toujours bien accueillis par les ultras de l’ASM.
À côté de Christian, Manu, un vétéran qui a connu l’ancien stade, « là où ils ont construit le Carrefour », se joint à la conversation. Il avoue ne pas avoir été particulièrement ému par ce qu’il appelle « la fête de Dortmund », ni par le fait que l’AS Monaco semble avoir plus de soutien à l’extérieur qu’à Louis-II. Christian : « Eh bien… Tu n’es pas content d’avoir un parcage plein à l’extérieur ? » Manu : « Non ! » Entre les lignes, il évoque la « mentalité entre nous » des Monégasques. Pour ce match contre Dijon, reprogrammé à 21 heures, ce fameux « entre nous » ne dépasse pas les 9 000 spectateurs, soit 50 % de la capacité du stade. Et encore, cela reste au-dessus de la moyenne, qui tourne autour de 7 000 spectateurs cette saison à Louis-II. C’est à peu près la même affluence que pour un match entre Oxford United et Port Vale en League One, la troisième division anglaise, le même week-end… Ainsi va la vie des supporters de l’équipe la plus en vogue du moment, avec son attaque flamboyante et ses jeunes talents, qui devraient assurer la stabilité financière du club pour un certain temps.
Une grande équipe par décennie
De l’extérieur, le supporter de l’AS Monaco est souvent réduit à un stéréotype : un millionnaire bronzé, chaussé de mocassins, portant des lunettes Gucci et un polo Vicomte A., qui viendrait se mêler à la foule sur les sièges jaunes de Louis-II, une coupe de champagne à la main. En réalité, le supporter de l’AS Monaco fait face à un véritable choc culturel. Ce choc entre le…
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Monaco : Un Club au Cœur d’une Identité Unique
Dans un cadre où le football est souvent perçu comme le sport le plus prisé, se dresse un club emblématique, l’AS Monaco, qui incarne à la fois une mythologie identitaire et un lien communautaire fort, surtout dans les quartiers périphériques. À l’opposé, la principauté, avec ses 40 000 habitants, voit une majorité de ses résidents temporaires, souvent des familles riches, qui viennent pour des séjours courts, que ce soit pour scolariser leurs enfants dans des établissements internationaux ou pour profiter de leurs yachts entre deux escapades à Moscou et Gstaad. Au milieu de ce décor de conte de fées, l’AS Monaco est dirigé par Dmitri Rybolovlev, un oligarque russe ayant bâti sa fortune dans l’industrie de la potasse, et entraîné par un Portugais originaire de Madère, qui a grandi au Venezuela. Ce dernier, souvent critiqué pour ses projets de développement sur le littoral, a su insuffler une dynamique offensive à son équipe cette saison, en phase avec l’héritage stylistique du club.
Chaque décennie, l’AS Monaco parvient à émerger avec une équipe séduisante qui capte l’affection du public français. Comme l’a souligné l’ancien président François Hollande lors d’une visite officielle : « Monaco a en quelque sorte pris la place de l’AS Cannes dans le cœur des Français. Je suis l’AS Monaco depuis longtemps, ayant vu naître des talents comme Thierry Henry et David Trezeguet. Là-bas, c’est avant tout le plaisir du jeu qui prime : le public est restreint, mais les performances sont souvent remarquables. » Cette tradition s’étend des années 1960, avec la génération Hidalgo-Biancheri, jusqu’à l’ère actuelle avec des joueurs comme Lemar et Mbappé, en passant par les équipes des années 1970 avec Dalger et Petit, ou encore celles des années 1980 avec Amoros et Bellone, sans oublier les années Wenger et le duo Henry-Trezeguet dans les années 1990, ainsi que les finalistes de la Ligue des champions en 2004.
Bien que ces équipes légendaires n’aient pas toujours remporté de titres, elles ont su séduire des supporters qui ne se laissaient pas facilement convaincre par des clubs comme Reims, Saint-Étienne, Marseille, Lyon ou le PSG. « J’étais un enfant à Tunis, et un jour, j’ai découvert que Monaco avait battu le Stade de Reims 4-2, une équipe phare de l’époque. Je ne savais même pas où se trouvait Monaco, mais j’ai appris les noms des joueurs cette nuit-là, et c’est ainsi que tout a commencé. Dans les années 1950, le jeu de Monaco était déjà décrit comme flamboyant. C’était parfois frustrant, car ils prenaient leur temps pour marquer, mais il y avait déjà cette touche de spontanéité et de jeunesse audacieuse. » se remémore Léon Samama, supporter fidèle depuis 60 ans.
Le Mur Jaune et les Sièges Vides
Léon a transmis sa passion à son fils, Pierre-Armand. Sur les genoux de son père, il découvre une équipe orchestrée par les passes d’un Anglais, Glenn Hoddle, et un autre Anglais, Mark Hateley, qui dominait dans les airs. « Quand j’étais petit, je m’identifiais plutôt aux joueurs plus petits, » plaisante Pierre-Armand. « À Monaco, nous avons toujours eu des joueurs comme Ferratge, Rui Barros, Giuly ou Christian Pérez. » Concernant l’ambiance souvent jugée calme, voire inexistante, du stade Louis-II, il ne voit pas de problème à ce que son équipe évolue sans une foule en délire : « Prenons Sonny Anderson, par exemple. Il a toujours été présent, même devant 3 000 spectateurs. À Monaco, les joueurs ne cherchent pas à être portés par le public, ils sont là pour le football, et rien d’autre. »
Les supporters d’autres clubs, qui s’efforcent de créer des banderoles géantes et des tifos toujours plus créatifs, peuvent bien se moquer. « Nous savons qu’il y a peu de monde au stade, mais nous cultivons notre identité avec une certaine autodérision, » explique Jessica, supportrice et résidente de Monaco. « Quand nous avons appris que nous allions affronter Dortmund, nous avons été les premiers à faire le parallèle entre leur mur jaune de supporters et notre mur jaune de sièges vides à Louis-II. Mais après tout, nous sommes seulement 10 000 Monégasques dans un espace plus petit que l’aéroport de Nice. »
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La Passion des Supporters Monégasques : Un Lien Unique avec l’ASM
Pour la majorité des fans à travers le monde, il est tout à fait naturel de « soutenir l’équipe de sa ville ». À Monaco, cette passion se traduit par un engagement financier important, avec des abonnements annuels variant entre 270 et 1100 euros selon les sections du stade. Malgré ce coût, les supporters ne se laissent pas décourager : pour eux, l’AS Monaco « représente une sorte de sélection nationale. Nous n’avons pas d’équipe nationale, donc notre attachement est aussi fort que celui des Bleus pour la France ou de la Squadra Azzurra pour l’Italie ». Cependant, rassembler la ville derrière son club est un défi, comme l’explique Fabrice, un Monégasque qui a choisi de quitter les tribunes latérales pour rejoindre la tribune Pesage, où une centaine de membres des Ultras Monaco 1994 s’efforcent de créer une ambiance plus vivante.
Le répertoire musical des supporters est principalement constitué de chants populaires dans d’autres stades, adaptés à des mélodies connues, tels que « Quand le Pesage se met à chanter… » ou « Tout le Pesage t’aime », inspiré du chant italien Oltre al novantesimo. Les plus fervents affichent parfois un cobra en hommage aux Sconvolts, un ancien groupe de supporters fondé en 1986, mais l’ambiance reste plutôt bon enfant. Fabrice commente : « C’est agréable ainsi, et nous en sommes contents ». En comparaison, d’autres stades de Ligue 1 affichent une atmosphère bien plus intense.
Une Rivalité Amicale et Respectueuse
Dans le paysage des rivalités entre groupes de supporters, peu se vantent d’avoir eu des conflits avec les fans de l’AS Monaco. Même les supporters niçois, malgré le derby Monaco-Nice, adoptent une attitude bienveillante. Biba, ancien leader de la Brigade Sud de l’OGC Nice, déclare : « Il y a une petite rivalité, mais elle ne va pas au-delà du chambrage. En réalité, nous n’avons aucun intérêt à aller plus loin ». Les Green Angels de Saint-Étienne partagent également une certaine empathie pour les supporters monégasques. Rabou souligne : « Ils parcourent 1200 kilomètres pour aller à Rennes. Ils bénéficient d’une sympathie générale parmi les adversaires. Comparé à Saint-Étienne, Monaco n’est pas l’endroit le plus propice pour développer une culture ultra ». Pedro, président des Ultramarines de Bordeaux, reconnaît même que « depuis leur remontée en Ligue 1 en 2013, ils affichent une belle dynamique, et cela se voit dans leurs déplacements ».
Les déplacements des supporters monégasques, souvent bien remplis, contrastent avec les affluences à domicile et témoignent de l’engagement des nombreux groupes de fidèles de l’ASM présents à travers la France. Jacques Binsztok, un passionné de l’ASM depuis les années 1960, se souvient : « En 2004, à Gentilly, je voyais de nombreux jeunes porter des maillots de Giuly ou de Morientes ». Il attribue également à la princesse Grace le mérite d’avoir conçu « le plus beau maillot de la Ligue 1 », une affirmation qui ne manque pas de fondement.
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Théo (surnom du meneur de jeu Théodore Szkudlapski, NDLR) évoque avec nostalgie sa découverte de l’ASM, aux côtés de figures emblématiques comme Hidalgo ou Biancheri.
Dans la continuité de l’exigence offensive qui caractérise le club, il rappelle que l’Italo-Argentin « Delio Onnis, meilleur buteur de l’histoire du championnat de France, a passé sept saisons ici ». Il ne manque pas de mentionner ce qu’il qualifie de « périodes sombres », où l’ASM semblait avoir perdu de vue ses valeurs fondamentales de formation et de détection, se transformant en une sorte de maison de retraite pour joueurs en fin de carrière. À l’image de la saison 2006 de l’attaquant italien Christian Vieri, dont l’engagement, entre blessures, frôlait le mépris. Pourtant, il n’a jamais été la cible de critiques acerbes de la part des supporters. Ici, les mots sont choisis avec soin, et la communion est rare. « À Louis-II, les mots sont pesés, à part peut-être pour le kop, c’est une assemblée d’esthètes », ajoute-t-il. Son fils renchérit : « Pour moi, l’ASM, c’est comme Arte. Tout le monde dit que c’est bien, mais peu s’y attardent. » Il serait peut-être plus juste de dire qu’à l’instar de la chaîne franco-allemande, l’attention se détourne rapidement, comme le souligne Jacques Binsztok : « Chaque fois que nous avons une grande équipe, un élan de sympathie se crée, mais cela ne dure que deux saisons, c’est très éphémère. »
Une pinte à 9 euros
Le 19 avril 2017, lors du quart de finale retour de la Ligue des champions contre le Borussia Dortmund, Jessica a proposé aux supporters du BvB de se retrouver pour partager une bière au bar de l’hôtel Marriott, en réponse à la solidarité manifestée dans la Ruhr après l’attentat contre le bus de l’équipe allemande. Cela a alimenté les plaisanteries des supporters d’autres clubs français, habitués aux bistrots peu reluisants et aux fumigènes autour des ronds-points. Le hic, c’est que Jessica n’a guère d’autre option : « La consommation d’alcool est prohibée autour du stade les jours de match à Monaco. » L’hôtel Marriott, bien que situé à une rue du stade Louis-II, se trouve en réalité… en France, à Cap-d’Ail. « C’est notre unique moyen de boire une bière avant les matchs. Ça nous fait mal de débourser 9 euros, mais nous n’avons pas le choix ! », explique Jessica.
Monaco est également contraint par sa géographie. Il est difficile d’attirer d’autres supporters dans la région lorsque la ville est coincée entre la mer et la montagne, à proximité d’une agglomération d’un million d’habitants, Nice, dont le club rivalise cette année avec l’ASM au classement. « Menton, La Turbie, c’est notre territoire, mais une fois passé Beaulieu, c’est Nice. Et il n’y a que trois routes d’accès », résume Fabrice. Malheureusement, de l’autre côté, c’est l’Italie. Un pays où il est compliqué d’envisager de traverser la frontière pour soutenir une équipe d’une ville étrangère, même si le dialecte local est proche du génois. Dans les tribunes, Odoardo Panza, originaire de Pérouse et ayant vécu à Milan avant de s’installer à Monaco il y a quinze ans, arbore l’écharpe souvenir du match aller contre Dortmund. C’est l’un des rares Italiens à avoir franchi le pas. Supporter depuis 2005, il confie que ses amis se moquent souvent de sa double allégeance. « Ils me disent que je ne peux pas être à la fois supporter de l’Inter et de Monaco… De l’autre côté de la frontière, c’est 50 % pour la Sampdoria, 50 % pour la Juventus, mais les gens ne s’intéressent pas à Monaco. Pourtant, un match de Ligue 1 coûte 8 euros, j’essaie de convaincre des compatriotes de venir, mais ça ne les attire pas ! » Il ose même une comparaison : « S’il devait y avoir un équivalent de l’AS Monaco en Italie, ce serait comme si le Vatican avait une grande équipe. » Pour laquelle un silence de cathédrale serait, en effet, le meilleur des soutiens.
Pronostic Monaco Montpellier : Analyse, cotes et pronostic du match de Ligue 1
Rédigé par Joachim Barbier, à Monaco, avec Adrien Verrecchia // Issu du magazine So Foot #146
Propos recueillis par JB, avec AV.
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