Le football comme tribune politique
Le mardi soir dernier, aux alentours de 23 heures, à l’Arena de Munich, l’équipe de France a vu son parcours allemand prendre fin aux portes de la finale, éliminée par une équipe espagnole beaucoup plus déterminée et ambitieuse sur le terrain. Alors que les critiques fusaient en France sur le jeu proposé par les Bleus, les choix tactiques de Didier Deschamps et les performances de Kylian Mbappé, à l’étranger, en particulier de l’autre côté des Alpes, ce sont les prises de position contre l’extrême droite de Thuram, Konaté et Koundé qui ont marqué les esprits. Mauro Berruto, député italien du Partito Democratico (centre gauche) et ancien sélectionneur de l’équipe de volley-ball italienne, affirme que ces interventions ont eu un impact majeur lors de l’Euro. Elles ont démontré qu’il était possible de s’opposer fermement à l’extrême droite.
Alors que certains estiment qu’il ne faut pas mélanger football et politique, en Italie, le gouvernement italien a choisi une approche différente en utilisant le football comme un outil politique, aux côtés de la culture et de l’audiovisuel. Après l’élimination de la Nazionale en huitièmes de finale contre la Suisse (0-2), Giorgia Meloni a justifié cet échec en pointant du doigt la présence importante de joueurs étrangers en Serie A. Un argument dépassé et motivé par des intérêts politiques. Valerio Moggia, spécialiste de la politique sportive et créateur du blog Pallonate in Faccia, souligne que cet argument est du pur populisme. Il ajoute que la véritable raison de l’échec de l’Italie réside dans le manque de confiance des clubs italiens envers leurs jeunes talents, comparant le football italien à un système conservateur et réactionnaire.
Une vision politique du football
Dans un contexte de football de plus en plus contrôlé, où chaque mot est scruté, il est rare de voir des joueurs prendre position sur des sujets politiques. Mauro Berruto souligne l’admirable prise de parole des joueurs français pour dénoncer un parti politique, affirmant que les citoyens ont le droit de s’exprimer, même si cela déplaît à certains.
En Italie, malgré la présence de l’extrême droite au pouvoir depuis deux ans, aucun joueur international n’a osé s’exprimer clairement sur la situation politique. Pourquoi ce silence ? Selon l’ancien sélectionneur de la Nazionale de volley-ball, les joueurs sont incités à se concentrer uniquement sur leur performance sportive et à éviter toute implication politique.
 » Avant le match contre lâEspagne, Davide Frattesi a été interrogé sur les prises de position des Bleus à l’encontre de Jordan Bardella & Cie. Initialement interrompu par l’attaché de presse de l’équipe nationale italienne, qui a déclaré « on ne parle pas de politique ici, seulement de football », Frattesi a répondu timidement « chacun est libre de dire ce quâil pense, dans le respect ». Cette réponse reflète également l’apolitisme de nombreux joueurs, comme le souligne Valerio Moggia. Selon lui, « Pour beaucoup de joueurs italiens, et même dâItaliens de manière générale, avoir lâextrême droite au pouvoir nâest pas perçu comme quelque chose de grave. En France, il y a eu de grandes mobilisations, ce qui nâest pas arrivé chez nous. Fratelli dâItalia (le parti de Giorgia Meloni, NDLR) a été dédiabolisé », justifie Moggia.

Outre cette dédiabolisation de lâextrême droite italienne (dont sâinspire grandement le Rassemblement national), le CEO de Pallonate in Faccia souligne que de « nombreux joueurs ne se sentent pas concernés par la politique de Meloni pour diverses raisons » et que dâautres « craignent de prendre position sur des sujets aussi clivants, surtout que lâextrême droite est au pouvoir, et donc sâopposer à cela, ce serait sâopposer aux Italiens finalement ». Pippo Russo partage cette réflexion en soulignant que « En Italie, la grande majorité des joueurs sont de droite, même sâils se disent publiquement apolitiques », et que « la très grande majorité des joueurs italiens ne perçoit pas lâextrême droite comme un danger ». Malgré quelques exceptions, comme les actions de Ciro Immobile pour la cause LGBT et d’Antonio Candreva en payant les frais de cantine dâune enfant dans le besoin, ces gestes restent marginaux. Valerio Moggia souligne que « Ce sont de belles actions, mais pour changer vraiment les choses, il faut sâopposer fermement à un système politique ».
« Ce sont les nouvelles générations qui vont changer les choses »
Pour Mauro Berruto, « premier sportif italien à siéger au Parlement italien », la prise de position des Bleus ne devrait pas entraîner une prise de conscience similaire en Italie, du moins pas chez les sportifs. Il souligne que « En Italie, cela me semble difficile, les joueurs ne sont pas aussi sensibles quâen France sur les questions de racisme et de discrimination », en raison notamment des différences historiques entre les deux pays. Il explique que «â¯La France a un passé colonial. Câest un héritage qui a sensibilisé beaucoup de Français sur les questions de racisme et de discrimination. En Italie, sur ces questions-là , nous avons énormément de retard.â¯Â» Ce retard se manifeste régulièrement en Italie, comme le souligne les déclarations du ministre des Sports â Andrea Abodi â au sujet de Jakub Jankto, premier joueur en activité à dévoiler son homosexualité. Valerio Moggia constate que « Il faut voir également comment le racisme est traité dans notre football. La chose nâest pas prise au sérieux, on la minimise. Il faut se rappeler que certains présidents, comme Tommaso Giulini de Cagliari, défendaient leurs supporters lorsque ces derniers avaient des propos racistes ».
ð ð ð ð questa è la mia ð ð ð ðUn changement de mentalité nécessaire dans le sport italien
Le sport en Italie est confronté à plusieurs défis, notamment la dédiabolisation de l’extrême droite, la banalisation du racisme et l’absence de diversité dans les équipes nationales. Cette situation est exacerbée par le manque de joueurs issus de l’immigration dans les sélections italiennes, contrairement à d’autres pays européens. Mauro Berruto souligne que cette absence de diversité contribue à un sentiment de déconnexion des joueurs par rapport aux questions de racisme et de discrimination. Il estime que les équipes de sports collectifs devraient s’inspirer de la fédération d’athlétisme italienne, qui a fait de la mixité sa force.
Selon Berruto, le changement de mentalité viendra des nouvelles générations qui ont grandi dans un environnement plus diversifié et qui comprennent l’importance de cette mixité. Pippo Russo partage cet avis en soulignant que ce sont ces jeunes générations qui feront avancer les choses. Cependant, il déplore le manque de confiance accordé aux jeunes en Italie, ce qui ralentit le processus de changement.
Il est donc nécessaire de faire preuve de patience et de laisser le temps aux nouvelles générations de prendre le relais pour promouvoir la diversité et l’inclusion dans le sport italien. Le pays doit s’ouvrir davantage aux jeunes talents et adopter une approche plus inclusive pour favoriser un changement positif.

