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Le 8 mai 1945, la France pousse un immense soupir de soulagement : l’Allemagne a capitulé. Cinq ans après la douloureuse défaite de juin 1940, des millions de Français envahissent les rues pour célébrer, y compris en Algérie, alors intégrée à la France. Les partis nationalistes algériens saisissent cette occasion historique pour se faire entendre. À Sétif, au cœur de la fête, ils organisent des manifestations qui provoquent la colère des autorités françaises. La répression qui s’ensuit est brutale : une semaine de violence, entraînant la mort d’au moins 30 000 personnes. Au milieu de ce chaos, un jeune garçon de neuf ans, Rachid Mekhloufi, est témoin de ces événements tragiques.
Originaire de Sétif, il est marqué à jamais par ces scènes de violence, tout comme de nombreux Algériens qui ont vécu ces atrocités. Treize ans plus tard, le 14 avril 1958, Mekhloufi se retrouve dans une voiture fuyant discrètement Saint-Étienne, accompagné d’Abdelhamid Bouchouk, Abdelhamid Kermali et Mokhtar Arribi. Tous sont des footballeurs professionnels, mais surtout, ils partagent un passé commun en tant qu’enfants de Sétif, ayant vécu les tueries de mai 1945. Ils abandonnent leur vie en France pour rejoindre une équipe représentant un pays qui n’existe pas encore.
Une équipe en pleine guerre
À l’époque de cette évasion, Rachid Mekhloufi, âgé de presque 22 ans, est déjà une star montante à Saint-Étienne. Sélectionné à plusieurs reprises en équipe de France, il est considéré comme l’un des grands espoirs du football français, se préparant à participer à la Coupe du Monde en Suède. Bien que les Algériens soient des Français au statut ambigu, sur le terrain, la situation est claire : un Algérien talentueux joue pour la France. Cependant, en avril 1958, en pleine guerre d’Algérie, les indépendantistes du FLN s’apprêtent à changer la donne, visant à recruter les meilleurs joueurs algériens.
La genèse de cette initiative est floue. Mohamed Boumezrag, ancien joueur de Bordeaux et du Mans, aurait eu l’idée de former une équipe après avoir assisté au Festival mondial de la jeunesse à Moscou en 1957. D’autres attribuent l’idée à une réunion clé en 1956 lors du Congrès de la Soummam, où les leaders de la lutte pour l’indépendance se sont réunis. Le FLN avait déjà établi des structures pour les étudiants et les travailleurs, mais créer une équipe de football permettrait d’atteindre un public plus large. Cependant, la plupart des meilleurs joueurs algériens évoluent dans des clubs français, ce qui nécessite une opération d’exfiltration pour les amener vers le Maghreb.
Les héros de l’Algérie
Mohamed Boumezrag rencontre personnellement chaque joueur pour les convaincre de quitter une carrière prometteuse en France pour rejoindre une équipe associée à un mouvement considéré comme terroriste par beaucoup. Bien que certains refusent, plusieurs joueurs de renom acceptent de participer. Boumezrag réussit à convaincre Mustapha Zitouni, un défenseur de Monaco, mais attirer Rachid Mekhloufi représente un défi. Son père étant policier, le FLN craint que Mekhloufi ne divulgue des informations. De plus, il est militaire et pourrait hésiter à devenir déserteur.
Alors que les autres joueurs sont prêts, Mekhloufi est informé de la situation à la dernière minute, juste avant un match crucial. Il accepte immédiatement l’offre, conscient que peu de Français comprennent la gravité de la situation en Algérie. Malheureusement, il se blesse lors du match et est hospitalisé. C’est là que Kermali et Arribi viennent le chercher, un jour en retard. En deux jours, dix joueurs algériens réussissent à quitter la France clandestinement.
Le soutien inattendu
Les départs sont précipités, certains joueurs traversant la Suisse ou l’Italie, souvent sans leurs affaires. Certains sont arrêtés, d’autres prennent des risques considérables. La voiture de Mekhloufi est arrêtée à la frontière suisse, mais les douaniers, ne connaissant pas son identité, le laissent passer. Après ces péripéties, l’équipe parvient à Tunis, où des dirigeants du FLN, soutenus par le président Bourguiba, les attendent. L’aventure peut enfin commencer. Malgré les pressions de la France, la FIFA refuse de reconnaître cette équipe et menace de sanctions ceux qui oseraient les affronter. Cela n’effraie pas le Maroc, qui leur propose un premier match le 9 mai 1958, suivi de plus de 80 autres rencontres dans des pays favorables à la cause algérienne.
Mekhloufi ne cache pas le faible niveau sportif de ces matchs, mais il reconnaît l’importance de cette propagande durant la guerre, qui se poursuivra jusqu’à l’indépendance le 5 juillet 1962. La FIFA finira par reconnaître l’équipe du FLN comme la sélection nationale. Fahrat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne, leur déclare : « Vous avez fait gagner dix ans à l’Algérie indépendante. » L’année suivante, Mekhloufi revient à Saint-Étienne, où il retrouve son statut d’icône. En 1968, il marque deux buts en finale de la Coupe de France, offrant le titre aux Verts. Lors de la remise du trophée, le président de Gaulle lui déclare : « La France, c’est vous ! » une manière de lui signifier qu’il a compris son engagement.
⇒ Pour découvrir l’histoire de Rachid Mekhloufi avec Saint-Étienne : Rachid Mekhloufi, l’âme verte.
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Article publié le vendredi 23 décembre 2016 sur sofoot.com dans le cadre du Top 100 : Ils ont marqué le football africain. Rachid Mekhloufi a terminé à la première place de notre classement.
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